Marie-Antoinette, une reine frivole et écervelée ?



Analyser, ou plutôt tenter d’analyser un personnage tel que Marie-Antoinette n’est pas une chose aisée. En effet, jamais une femme dans l’Histoire n’a suscité autant d’ouvrages, de pamphlets, de critiques, de représentations, d’admiration et de haine. Martyre et victime pour les royalistes après son exécution le 16 octobre 1793, elle est aussi, de son vivant, très souvent la cible de ses contemporains qui, haineux, lui reprochent d’être responsable des maux de la France. Considérée comme frivole et dépensière, elle est, pour l’opinion publique, l’épouse infidèle, lubrique et écervelée d’un roi faible et benêt, qui ne pense qu’à ses propres plaisirs. Ces accusations causeront en partie sa perte lors de son procès devant le Tribunal Révolutionnaire. Mais sont-elles fondées ? Marie-Antoinette était-elle aussi légère que ses détracteurs le dirent ?

Remontons le fil du temps, et commençons notre récit en l’année 1770.


Deux enfants au cœur d’un mariage d’intérêt politique

Le 16 mai 1770, dans la chapelle du château de Versailles construite sous Louis XIV, deux adolescents se tiennent côte à côte. Respectivement âgés de 15 et 14 ans, le Dauphin de France Louis et l’Archiduchesse d’Autriche Marie-Antoinette sont unis par l’archevêque de Reims en présence du roi Louis XV et de toute la Cour. La cérémonie terminée, de fastueuses festivités ont lieu dans les jardins de Versailles, alors remplis d’une foule de Parisiens venus assister à l’événement, et se clôt le soir par un feu d’artifice. On vient de marier le futur roi et la future reine de France.

Comme la quasi-totalité des mariages princiers, il s’agit d’une alliance d’intérêt. En effet, depuis longtemps, la France et l’Autriche se disputent l’hégémonie de l’Europe. Seule une union peut mettre fin à cette rivalité à laquelle les souverains des deux pays aspirent. Le rapprochement est amorcé dès 1766 par Choiseul, ministre de Louis XV, et Kaunitz, conseiller de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, pour aboutir à la demande en mariage officielle en 1769.

Lorsque l’on commence à parler sérieusement d’union entre les deux jeunes gens, ils ne sont donc que des enfants, âgés de 11 et 10 ans. Louis est dauphin depuis peu puisque son frère aîné et son père, fils de Louis XV, sont respectivement décédés en 1761 et 1765. Quant à Marie-Antoinette, elle est l’avant-dernière enfant d’une fratrie qui en compte quinze, nés de l’empereur germanique François 1er et de Marie-Thérèse d’Autriche.

Afin de remplir leurs nouveaux devoirs, l’éducation de ceux qui n’étaient jusque là que deux cadets de famille est reprise en main. Pour Louis XVI, elle a lieu dès la mort de son frère et nous y reviendrons plus tard quand nous analyserons et expliquerons ses rapports avec son épouse. Dans le cas de Marie-Antoinette, elle débute sérieusement à l’âge de 13 ans, lorsque sa mère s’aperçoit de la négligence dans laquelle la jeune fille a été laissée à ce niveau. En effet, l’enfance de Marie-Antoinette est plutôt insouciante. Confiée aux soins de gouvernantes et préceptrices, elle grandit à Schönbrunn auprès de ses frères et sœurs dans une ambiance simple et gaie, l’étiquette étant quasiment absente de la cour d’Autriche. Réticente à tout travail intellectuel, incapable de se concentrer tant son caractère enjoué, vif et espiègle penche vers la facilité et la distraction, elle n’acquiert pas les notions fondamentales que sont la maîtrise de l’écriture et de la lecture de l’allemand, celle de la langue française (alors parlée dans toutes les cours d’Europe) ainsi que du latin. Son profil ne correspondant pas à celui d’une future reine de France, Marie-Thérèse, la sachant pour autant loin d’être bête, décide alors de faire venir de France l’abbé Vermond, chargé d’instruire le petit feu follet. Il y parviendra plus ou moins bien… Déjà se profile à l’horizon l’image d’une Marie-Antoinette têtue, qui aime faire ce qu’il lui plaît… quand il lui plaît !



Portrait de l'archiduchesse Marie-Antoinette, peint en 1769 par Joseph Ducreux à l'attention du Dauphin

Pourtant, lors de son arrivée en France, juste avant le mariage, elle va se trouver propulsée dans un monde rigoureux, fait de contraintes et de surveillance quasi-permanentes : la Cour est très à cheval sur l’étiquette. Marie-Antoinette y fait face pour la première fois lors de sa « passation » entre les deux pays. Celle-ci a lieu le 7 mai 1770 sur une île du Rhin, l’île des Epis. Dans un pavillon en bois construit pour l’occasion et marquant un « pont » entre l’Allemagne et la France, la jeune archiduchesse est dans l’obligation de renoncer à tout ce qui la rattache à son pays d’origine : elle ôte tous ses vêtements pour vêtir ceux de la Cour de France et abandonne ses dames de compagnie autrichiennes. Pour une adolescente de 14 ans habituée à ses repères, c’est beaucoup : spontanément, la jeune fille désespérée se laisse aller dans les bras de Madame de Noailles, sa nouvelle dame d’honneur. Celle qu’elle nommera plus tard « Madame l’Etiquette » est une personne stricte : elle la repousse doucement mais fermement. L’effusion n’est pas admise. Premier coup dur qui annonce la solitude prochaine.

La rencontre avec le dauphin le 14 mai, au cœur de la forêt de Compiègne, n’est guère plus prometteuse. Louis XV, présent comme le veut la tradition, l’accueille chaleureusement. Mais le comportement de son futur époux est plutôt froid. Non pas que le dauphin soit un être dédaigneux, bien au contraire. Il est surtout d’une timidité maladive et ne connaît rien aux femmes, ce qui le rend maladroit. Et cette maladresse, doublée du caractère vif et parfois peu réfléchi de Marie-Antoinette, ne va pas arranger leurs affaires de couple les premières années de leur mariage.



Louis, dauphin de France

En effet, au soir de leurs noces, les jeunes époux sont menés à la chambre conjugale par Louis XV, en même temps que l’archevêque de Reims bénit le lit. Laissés seuls, l’union n’est cependant pas consommée. Il faut se montrer là indulgent : que peuvent faire deux jeunes gens inexpérimentés et innocents des choses de la chair, venant à peine de se connaître, dans la couche nuptiale ? Le problème n’est cependant pas anodin : il faudra attendre sept ans pour que l’acte sexuel soit complètement accompli, et huit ans pour que le premier enfant naisse. De cette longue attente, Louis et Marie-Antoinette vont en être les victimes : pamphlets et moqueries sur l’incapacité sexuelle d’un roi déjà considéré comme un idiot et accusations de lubricité à l’égard d’une reine qui, suppose t-on, insatisfaite de sa vie de couple, multiplie les amants. Or, rien de tout cela n’est fondé : Louis XVI était loin d’être bête et impuissant, et Marie-Antoinette n’était pas une dépravée. Son attitude, cependant, va se révéler être à mille lieux de ce que l’on attend d’une (future) reine.


Les premières années à la Cour de Versailles

Pour comprendre en partie le comportement de Marie-Antoinette lors des premières années de sa vie à Versailles, il faut analyser plus en profondeur ses relations avec son mari.

Le futur Louis XVI, né le 23 août 1754, est un être solitaire, un peu replié sur lui-même. Second fils de Louis-Ferdinand, il porte le titre de duc de Berry et, suivant la logique de succession, n’est pas amené à être roi un jour. C’est un enfant fragile, réservé, à l’écart. Contrairement à ses frères (il en a trois), il n’est pas admiré et ne possède pas l’art de la conversation. Pour résumer, il est terriblement timide.

En 1761, alors qu’il n’a que 7 ans, son destin bascule : son frère meurt d’une tuberculose osseuse. Désormais second dans la succession après son père, on considère qu’il est important de reprendre en main son éducation : elle se révèle sévère. Mais Louis est d’une bonne nature. Il s’applique et se montre bon élève dans des matières aussi variées que la littérature, l’histoire et les langues (il maîtrisera avec talent l’italien et le latin). Mais très vite, ses goûts se portent vers les sciences et il se passionne pour la géographie et la mécanique des horloges. Simone Bertière, dans son colossal ouvrage Marie-Antoinette l’insoumise, résume en une seule phrase sa personnalité qui, bien qu’effacée, n’en est pas moins d’une grande intelligence et d’une grande culture : « Il sait énormément de choses, mais comme il ne dit rien, personne ne s’en doute. Son silence passe pour stupidité »

Le problème, c’est que cette vision négative de Louis, risée de la Cour et de toute l’Europe, est aussi celle que Marie-Antoinette a de lui. Et elle débute bien avant leur rencontre. Depuis que son destin de future reine de France est scellé en 1769, sa mère et son entourage ne cessent de lui répéter que le dauphin est un homme mou et bête, et qu’elle n’aura par conséquent aucun mal à le mener par le bout du nez. D’autant plus que l’objectif de l’Autriche n’est pas dépourvu d’intérêts : Marie-Thérèse veut faire de sa fille une sorte d’espionne travaillant pour sa patrie d’origine et pense qu’elle pourra facilement influencer son époux dans des décisions politiques importantes au profit de l’Autriche. Des années durant, l’impératrice fera donc pression sur Marie-Antoinette dans ce but, par l’intermédiaire d’une très massive correspondance ainsi que par deux proches de la jeune fille : l’abbé Vermond et le comte de Mercy-Argenteau. Mais c’était bien sous-estimer Louis, qui n’est pas dupe et saura, avec subtilité, détourner sa femme de toute ambition politique. Nous y reviendrons.

Avec de tels préjugés sur le dauphin, difficile pour Marie-Antoinette d’éprouver un quelconque attrait pour cet époux qui, par ailleurs, est son total opposé : il fuit le plus possible les mondanités et les conversations en société, ne se pliant qu’aux obligations imposées par l’étiquette, qu’il suit à la lettre. Elle, au contraire, aime être vue, admirée et converser, même de banalités. Extravertie parfois jusqu’à l’étourderie (son jeune âge y est pour beaucoup), elle se montre aussi désobéissante et moqueuse vis-à-vis de ses dames de compagnie dont elle déplore l’âge avancé, qui est pour la plupart… d’une trentaine d’années à peine ! Lui aime chasser, il se couche donc tôt et se lève à l’aube. Elle, aime faire la fête et les soirées se terminent souvent tard dans la nuit… Bref, autant dire qu’ils n’ont absolument rien en commun.

Ce n’est donc pas vers son mari que la jeune dauphine se tourne pour oublier sa solitude et, surtout, la pression incessante qu’exerce sur elle la vie versaillaise. En effet, Marie-Antoinette déteste l’ambiance, hypocrite, qui y règne et trouve l’étiquette totalement ridicule. On ne lui donnera pas tort sur ce dernier point, quand on sait qu’il existe tout un rituel, long et complexe, ne serait-ce que pour lui apporter un simple verre d’eau... En effet, l’étiquette, créée sous Louis XIV, vise uniquement à justifier le rang et le titre, par le rôle qu’elles jouent auprès des souverains (les vêtir, les servir…), de personnes de la haute aristocratie. Sans ce cérémonial, elles n’ont plus aucune raison d’être. Or, Marie-Antoinette, nous le verrons, prendra beaucoup de distance vis-à-vis de cette longue tradition, ce qui lui vaudra de très vives critiques au sein même de la Cour.

Pour échapper à cette atmosphère pesante ainsi qu’aux récriminations épistolaires incessantes de sa mère, reprises de vive voix par Mercy-Argenteau, sur son comportement et l’absence de grossesse au fil des années, la jeune fille cherche alors des échappatoires : ce seront les divertissements et les fêtes. En 1773, elle se rend pour la première fois à Paris, renommée pour ses bals et ses théâtres. Elle est néanmoins toujours chaperonnée : parfois, le dauphin l’accompagne, mais bien souvent ce sont ses beaux-frères, les comtes de Provence et d’Artois, qui jouent ce rôle. Et Marie-Antoinette trouve à Paris tout le piment, toute l’euphorie qui lui manque tant à Versailles. Elle s’entoure aussi d’un cercle d’amis intimes qu’elle choisit elle-même, selon ses coups de cœur et non selon une imposition de rang ou de convenance.



Marie-Antoinette, dauphine de France

Elle a d’autant plus besoin d’amis à qui se confier et auprès de qui se réfugier qu’elle est en conflit quasi-permanent, depuis son arrivée en France, avec Madame du Barry, maîtresse de Louis XV. Influencée par les filles de ce dernier, qui n’avaient déjà pas accepté, en son temps, la présence de Madame de Pompadour, elle lui reproche son aversion, d’ailleurs réciproque, pour Choiseul, le premier ministre. Sans rentrer dans les détails politiques de l’affaire, précisons qu’il existe donc au sein de la Cour deux factions rivales, l’une prenant parti pour la belle comtesse du Barry, l’autre pour le célèbre et puissant ministre qui voit en elle une instigatrice trop influente sur la personne du roi. Choiseul soutenant de façon générale les intérêts de l’Autriche, Marie-Antoinette se voit par conséquent contrainte, poussée une fois de plus par sa mère, de se ranger de son côté. Ce n’est pas chose difficile néanmoins : la dauphine ressent déjà une animosité pour la favorite de Louis XV, qui s’explique principalement par l’infériorité de sa naissance. Elle n’accepte pas qu’une roturière (puisque c’est bien de la roture qu’elle vient) puisse tenir une place aussi importante auprès du monarque le plus puissant d’Europe.

Les choses ne s’arrangent pas lors du renvoi de Choiseul, le 14 décembre 1770. C’est un coup dur pour l’Autriche, qui voit disparaître un de ses soutiens les plus précieux et, croit-elle, naître la menace de la dissolution de l’alliance entre les deux pays. La pression s’accentue sur Marie-Antoinette, qui entre en une résistance plus dure envers Madame du Barry et son « clan » hostile à l’Autriche. Cette résistance est d’autant plus vive que la maîtresse du roi est ressortie grandie du renvoi du ministre. Sollicitée, courtisée, elle suscite chez la dauphine une jalousie due à la non-légitimité de son statut. Comment une favorite royale de si petite naissance peut-elle supplanter la dauphine ? C’est indécent !

C’est là donner bien de l’importance à la pauvre Madame du Barry qui n’avait, contrairement à la marquise de Pompadour, aucune ambition politique, donc aucune influence de la sorte sur le roi. Il faudrait plutôt expliquer ce rejet d’une grande partie de la Cour à son égard par le mode de vie et la fin de règne de Louis XV, devenu très impopulaire. De plus, loin d’entrer dans le jeu de Marie-Antoinette, elle cherche constamment à s’attirer la sympathie de cette dernière. Or, la jeune fille est entêtée et l’ignore royalement, refusant de lui adresser la parole. Ce comportement maladroit finit par lui causer du tort : le roi, mécontent, intervient. Il lui reproche de ne pas traiter certaines personnes de la Cour avec respect, sans jamais mentionner de nom. Marie-Thérèse, qui peut compter sur Mercy-Argenteau pour lui rapporter les moindres faits et gestes de sa fille, prend les choses en main et sermonne sa progéniture : elle ne doit surtout pas se mettre le roi à dos. Un comble quand on sait que c’est notamment elle qui a incité Marie-Antoinette à prendre parti ! Cette dernière, qui ne veut néanmoins pas contrarier sa mère, cède. Le 1er janvier 1772, lors de la cérémonie des vœux où elle défile devant toute la Cour, elle s’arrête à hauteur de Madame du Barry et lui dit : « Il y a bien du monde aujourd’hui à Versailles ». Cette phrase, anodine, règle le problème, en apparence du moins. Car elle déclare par la suite à Mercy que plus jamais elle ne cédera, peu importe les mises en garde de sa mère. Marie-Antoinette a grandi et s’émancipe peu à peu de l’emprise de sa famille. Les raisons qui la font détester la favorite royale lui sont propres et peuvent paraître dérisoires, mais elle s’y tient. Pour elle, c’est une question de morale.

Ce caractère tendant vers l’indépendance va s’accentuer. La mort de Louis XV et, par conséquent, son nouveau statut de reine vont donner à Marie-Antoinette l’illusion qu’elle peut faire tout ce qu’elle désire. Et c’est aussi cela qui va, en partie, être à l’origine de sa chute.


Marie-Antoinette, reine de France (1774-1789)

Louis XV meurt le 10 mai 1774 de la petite vérole, après un long règne qui se termine par une immense impopularité. Voilà le dauphin et la dauphine prenant les titres et fonctions de roi et reine. Ils ont 20 et 19 ans et représentent le renouveau, l’espoir pour tout un peuple. En secret, Marie-Antoinette espère bien mener la barque, pensant son époux docile. Les circonstances vont être bien différentes…

Ce qu’il est avant tout essentiel de noter, c’est que le statut de reine est pour Marie-Antoinette comme une délivrance. Délivrance vis-à-vis, d’abord, de sa mère. En effet, malgré l’apparence de jeune femme superficielle, elle n’est pas naïve : elle a pleinement conscience d’être une marionnette aux mains de Marie-Thérèse qui espère continuer à manipuler sa fille dans les intérêts de l’Autriche. Or, la reine est à présent une femme qui a mûri. Cette émancipation va prendre un peu de temps, car Marie-Antoinette est très attachée à sa famille et sa patrie, mais elle ne manquera pas de s’accentuer fortement au fur et à mesure des années.

Au début du règne, donc, la toute jeune reine tente d’imposer les choix politiques de l’Autriche, en les faisant passer pour siens, à Louis XVI, notamment dans la nomination des ministres. Elle désire particulièrement le retour de Choiseul, au point, devant le refus catégorique du roi, d’en faire une affaire personnelle. Face à ce véritable harcèlement entêté, Louis XVI, qui sait très bien que sa femme n’a aucune intelligence politique et qu’elle n’est que sous l’emprise émotionnelle de sa mère, joue la subtilité : il lui accorde de petites faveurs sans conséquences, comme la nomination de Madame de Lamballe, son amie proche, à la charge tout juste rétablie de surintendante de la Maison de la reine, lui faisant ainsi croire qu’elle possède un pouvoir de décision. Et mieux encore : il détourne son attention sur des domaines très éloignés de la politique. Il lui offre tout d’abord le Petit Trianon, construit en son temps pour Madame de Pompadour, dans le parc du château. Ce cadeau marque le début d’une nouvelle vie pour Marie-Antoinette : il sera le lieu de son épanouissement et d’un certain bonheur.



Le Petit Trianon


En effet, dès qu’elle entre en sa possession, elle y entreprend des rénovations importantes, qui ne cesseront qu’à la Révolution : amélioration des intérieurs, création de jardins à l’anglaise… Concentrée sur ces projets, pour lesquels elle fait preuve d’une grande maîtrise et d’une grande compétence, elle en oublie la politique… et, dans la mesure du possible, la vie étouffante de Versailles. Le Petit Trianon devient son refuge, où elle vient se ressourcer avec ses amis intimes, qu’elle a choisis selon ses inclinations, dans une grande simplicité : l’étiquette y est effectivement totalement bannie. La reine y donne quelques fêtes, dont une, restée célèbre par son caractère grandiose, en l’honneur du roi, le 3 septembre 1777. La particularité de ces réceptions est qu’elles ne se font que sur invitation : une grande partie de la Cour en est donc exclue, ce qui soulève un flot d’indignations et de critiques. Ce ne sont là, hélas, que les débuts d’une longue liste…

Au début, le Petit Trianon n’est donc qu’un lieu de festivités et de promenades quotidiennes, car la reine se doit de loger à Versailles. C’est lorsqu’elle attrape la rougeole en 1779 et qu’elle vient vivre près de trois semaines dans le petit château qu’il devient pour elle un lieu de séjour. Elle n’y dort pas systématiquement, mais de plus en plus souvent néanmoins. Là, plus de rituel du lever, pas de visites officielles, pas de surveillance pesante, elle y fait ce que bon lui semble et elle n’y reçoit que ses proches et les personnes qu’elle aime, comme ses amies Mesdames de Lamballe et de Polignac. Le roi, qui lui n’y séjourne jamais la nuit, vient cependant lui rendre de fréquentes visites. Il semble apprécier la quiétude du lieu car lui aussi n’aime pas l’ambiance pesante du palais.

La reine n’en oublie pas pour autant ses obligations. Au château de Versailles, elle a la carte blanche de son époux pour toute l’organisation des divertissements, notamment en matière de dîners et de théâtre, une de ses passions. Mais là encore, elle marque une rupture avec la tradition : sa nature la portant à vouloir s’impliquer en tout, elle se mêle des décisions habituellement prises par des personnes compétentes en matière de décors ou de choix des acteurs. Louis XVI la laisse néanmoins faire. D’abord parce que pendant ce temps, nous l’avons vu, elle ne pense pas à la politique, mais aussi parce que le roi est conscient que pour tenir un faste digne de la royauté, elle seule, qui sait attirer l’attention par sa personnalité enjouée, en est capable. Il se sait incompétent en ce domaine, lui qui fuit la société aristocratique, qu’il considère comme futile et sournoise. Louis XVI est un homme simple, qui se passionne pour tout ce qui est manuel : il lui arrive très souvent de monter sur les toits de Versailles pour regarder les couvreurs travailler. De même, il ne ressent aucune honte à parler aux paysans rencontrés sur son chemin lors de ses parties de chasse. Dès qu’il le peut, il se réfugie dans ses livres et ses cartes de géographie. Il apprécie la solitude et pour lui, être roi est un poids. Il sait que, malgré ses efforts et sa volonté de bien faire, il n’en a pas l’envergure. Son plus grand défaut : l’indécision, qui le pousse à l’inactivité et à subir les événements. Ce manque de confiance en lui, disons-le tout de go, lui vaudra en grande partie la guillotine.

Ces deux êtres sont par conséquent diamétralement opposés et donc… complémentaires. Cela pourrait fonctionner parfaitement si une ombre ne planait pas au-dessus du couple : en 1777, soit sept ans après leur mariage, ils n’ont toujours pas d’enfant. Pour cause, l’union n’a tout simplement pas été encore consommée. Et cet état de fait engendre critiques et rumeurs : si la reine passe autant de temps à Trianon, à l’abri des regards, c’est certainement pour recevoir ses amants et combler ainsi son insatisfaction conjugale. Et si le roi n’insiste pas, c’est qu’il souffre sûrement d’impuissance ou d’une malformation génitale. Bref, les bruits courent, les pamphlets et quolibets aussi, et les deux souverains ne font rien pour y mettre fin. Pourtant, l’avenir de la dynastie est en jeu et le statut de Marie-Antoinette en danger : si elle ne donne pas d’héritier à la monarchie, elle risque purement et simplement d’être répudiée.

Pourquoi le couple n’arrive t-il pas à se rapprocher ? Nous avons vu leur différence de caractère et de centres d’intérêts. Elle participe activement à leur éloignement mutuel. Il faut aussi prendre en considération les sentiments que Marie-Antoinette porte à son mari. Depuis longtemps, on lui rabâche que Louis XVI est un incapable et pour elle, il est impossible de remettre cette version en question. Elle ne voit pas ses qualités que sont sa douceur, sa gentillesse et sa culture. Condescendante à son égard, elle n’hésite pas, dans sa spontanéité parfois maladroite, à se moquer publiquement de lui. Le prestige du roi, déjà faible, s’en retrouve encore plus amoindri. Louis XVI participe donc de moins en moins aux festivités de la Cour et n’accompagne plus du tout la reine aux bals et pièces de théâtre donnés à Paris, ce qui conforte les détracteurs dans leur vision d’une femme libre, donc légère et dépravée. Car que peut faire une reine sans son époux à ses côtés lors de tels événements, si ce n’est pour le tromper ?

C’est là bien mal connaître la reine. Car Marie-Antoinette peut être accusée de bien des défauts, mais certainement pas d’infidélité et de lubricité. Son éducation stricte et basée sur les préceptes religieux l’en empêchent purement et simplement. En effet, Marie-Thérèse n’a pas manqué d’inculquer à ses enfants la méfiance du corps et de la nudité, qu’elle considère comme des choses immorales. Marie-Antoinette, bien loin d’être dévergondée, est au contraire une femme très pudique. Parfois, son attitude rieuse et son goût pour les plaisirs et les fêtes la poussent à flirter, car elle aime plaire, mais ce n’est jamais bien répréhensible. En fait, Marie-Antoinette n’a aimé, au cours de sa vie, qu’un seul homme : le beau comte suédois Axel de Fersen, qu’elle rencontre furtivement en 1774 mais dont elle tombe amoureuse en 1778. Et là encore, rien ne prouve qu’ils furent amants. Fersen sera néanmoins très présent dans sa vie, et il la soutiendra notamment dans quelques décisions politiques maladroites qui coûteront chères à la famille royale, nous y reviendrons.



Axel de Fersen


Début 1777 donc, aucun héritier n’est en vue. On jase, on critique, on ne donne pas cher du couple royal, ce qui met en joie le comte de Provence, frère du roi, qui lorgne le trône d’un œil envieux. Il n’est pas impossible qu’il soit justement à l’origine de toutes les diffamations exprimées à l’encontre de Louis XVI et, surtout, de Marie-Antoinette. Il y a donc urgence à agir. C’est encore une fois Marie-Thérèse qui prend les choses en main : elle envoie, sous le prétexte d’une simple visite de courtoisie, son fils, l’empereur Joseph II, à Versailles. Il arrive le 18 avril 1777 et y reste plusieurs semaines. Ce qui est dit lors de ce séjour est assez difficile à retracer, on sait néanmoins qu’il sermonne sa sœur sur son attitude moqueuse envers son époux ainsi que sur son comportement général indigne d’une reine. Elle doit donc se reprendre, penser un peu plus sérieusement à son statut, séduire son mari et se montrer plus agréable à son égard. Joseph II s’entretient aussi avec Louis XVI, mais on ne sait ce qu’ils se disent… Toujours est-il que cette visite atteint son objectif : les relations sexuelles se multiplient et sont « totales » et, le 19 décembre 1778, la reine accouche d’une fille, que l’on nomme Marie-Thérèse, comme sa grand-mère, et qui prend le titre de Madame Royale. L’accouchement est difficile pour Marie-Antoinette : il a lieu en public, sous les yeux de la Cour, afin d’éviter toute substitution. Imaginons la scène : la présence de nombreuses personnes dans la chambre crée, en plus d’un manque d’intimité évident, une chaleur étouffante, au point que Louis XVI doit lui-même aller briser un carreau afin que l’air pénètre la pièce et que sa femme reprenne ses esprits.

La reine a donc eu son premier enfant. Mais ce n’est pas un fils. Surmontant leur rejet de la chose sexuelle, Louis XVI et Marie-Antoinette se remettent donc au « travail » et, le 22 octobre 1781 naît un garçon, Louis-Joseph. Le roi est tellement ému et soulagé qu’il fond en larmes. La reine, elle, se pense maintenant en sécurité : elle vient de donner un héritier à la couronne. C’est sans compter sur la santé fragile du petit dauphin. Il faut alors envisager la conception d’un deuxième enfant : Louis-Charles vient au monde le 27 mars 1785 mais, cette fois, la reine a le courage de cacher les douleurs de ses contractions pour ne pas avoir à accoucher en public. Pris donc de court, son entourage n’a pas le temps de mettre les choses officielles en place. Marie-Antoinette peut mettre son fils au monde dans cette intimité qu’elle aime tant. Enfin, le 9 juillet 1786, c’est une petite fille, Sophie, qui naît. Elle meurt à peine un an plus tard. Ce sera le dernier enfant, Marie-Antoinette considérant avoir assuré la dynastie royale.



Marie-Antoinette et ses enfants, par Elisabeth Vigée-Lebrun. Le dauphin Louis-Joseph montre le berceau vide de Sophie, décédée quelques temps auparavant


La maternité va cependant totalement transformer le couple. Car dès la naissance de Marie-Thérèse, et il en sera de même lors de la venue de ses frères, ce qui envahit le roi et la reine est un sentiment d’amour fort. Au point qu’au lieu de les confier entièrement à des nourrices et des précepteurs, ils s’occupent eux-mêmes de leurs enfants et de leur éducation. Cet état de parent va aussi, peu à peu, les rapprocher en tant que mari et femme, et ce lien se révèlera prédominant lors de la Révolution. Enfin, et c’est aussi à noter, la condition de mère rend Marie-Antoinette beaucoup plus mature et responsable.

Est-ce aussi ce besoin de se retrouver avec ses enfants qui la pousse de plus en plus à se réfugier à Trianon ? Dans ce petit univers clos, elle organise sans cesse de nouveaux aménagements. Elle fait bâtir de 1778 à 1780, par l’architecte Richard Mique, un vrai théâtre entièrement constitué de carton-pâte. C’est là qu’elle passe une grande partie de son temps, avec ses proches, à jouer Beaumarchais et autres auteurs en vogue, comme Rousseau. Son rôle le plus célèbre est celui de Rosine dans Le Barbier de Séville. Là, on l’applaudit, on l’acclame, comme autrefois lorsqu’elle se rendait à Paris en tant que simple spectatrice. Elle se sent admirée, aimée.



Le théâtre de la Reine



Marie-Antoinette se promenant avec ses enfants dans les jardins du Petit Trianon

Ce goût pour le théâtre décline cependant peu à peu, pour laisser place à de nouveaux projets, plus simples. Suivant son besoin incessant d’intimité mais aussi la mode rousseauiste du retour à la nature, Marie-Antoinette entreprend, dès 1783, la construction d’un hameau, qui ne s’achèvera qu’en 1787. Ce « Hameau de la Reine » constitue en fait un véritable petit microcosme, avec ses maisons paysannes, ses laiteries, sa grange, ses étables, son poulailler, son colombier et son moulin. Authentique ferme en fonctionnement, avec son personnel, la reine aime, accompagnée de ses proches, y déguster les produits frais et s’occuper parfois elle-même de la traite ou ramasser les œufs. Là, elle est vraiment souveraine, c’est son domaine à elle, où elle fait ce qu’elle désire. Elle a d’ailleurs pour habitude de déclarer : « Ici, je ne suis plus reine, je suis moi » Le Hameau est son œuvre, et elle s’y sent bien, au point de se vêtir, elle aussi, de façon très élémentaire, en simple robe de coton. Les dernières années précédant la Révolution, la reine dépense de fait très peu d’argent en costumes et en réceptions, puisqu’elle s’habille sobrement et ne reçoit quasiment plus personne.



Le Hameau de la Reine


Mais bien évidemment, les indignations s’élèvent une fois encore contre ce mode de vie « paysan » qui ne correspond pas à celui d’une souveraine. En vivant ainsi, écartée de la Cour, Marie-Antoinette exclut la quasi-totalité de l’aristocratie et ne joue plus son rôle officiel, qui doit être public. On pense aussi qu’elle s’éloigne encore plus du roi, alors que l’on sait que celui-ci vient lui rendre des visites matinales presque quotidiennes.

Les relations entre les époux, en effet, s’adoucissent de plus en plus avec le temps. Sans parler d’amour, ils commencent néanmoins, lentement mais sûrement, à se faire confiance. Cette confiance s’accentue dès 1787, car les affaires du royaume ne sont pas au beau fixe et Louis XVI, dont l’état moral commence doucement à se détériorer, se tourne vers sa femme pour trouver du soutien. En effet, les caisses de l’Etat sont désastreusement vides. Les impôts, depuis longtemps, écrasent la partie la plus pauvre (et majoritaire) de la population française. On ne taxe ni les propriétaires, ni l’aristocratie, ni le clergé, alors que leur coopération absorberait en grande partie la dette. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Louis XVI tente de changer les choses. Dans son esprit bienveillant et malgré tout pragmatique, il n’est pas contre une réforme fiscale qui inclurait la participation des privilégiés. Or, il se heurte violemment à l’opposition de ces derniers qui ne veulent en aucun cas renoncer à leurs prérogatives.

Pourquoi n’y a-t-il plus d’argent ? Bien loin des accusations qui commencent déjà à être portées sur les dépenses personnelles de la reine, c’est surtout la guerre en Amérique, à laquelle la France porte son soutien, qui représente un véritable gouffre financier. En effet, en cinq années seulement, elle a coûté… un milliard de livres. A côté, les extravagances de Marie-Antoinette sur ses toilettes, ses aménagements à Trianon ou encore l’achat du château de Saint-Cloud en 1785 paraissent bien dérisoires…

L’erreur, néanmoins, de la famille royale, est de continuer à mener grand train de vie comme si de rien n’était. Cela va avoir des conséquences non négligeables. En effet, en 1781, le ministre du roi Jacques Necker fait publier un état des lieux des dépenses de l’Etat dans un but de transparence vis-à-vis des Français. Il y apparaît que les coûts de la Cour, tout inclus, ne dépassent pas les 6%. Une somme superflue, mais qui fait scandale auprès de l’opinion publique. On y voit entre autres les frais de la reine, et son image, déjà ternie, se dégrade encore plus. Marie-Antoinette ne comprend néanmoins pas ce qu’on lui reproche. A ses yeux, elle se trouve dans son bon droit. La Cour et les personnes qui la composent ont toujours fait de telles dépenses, pourquoi y renoncer ? On ne change donc pas les habitudes. Grave erreur. D’autant plus que, par malchance a lieu, en 1785, la très fameuse affaire du collier. Je ne rentrerai pas dans les détails, assez complexes, de l’histoire (qui a d’ailleurs valu à elle seule plusieurs ouvrages) mais pour résumer, il s’agit d’une escroquerie visant à faire payer à la reine un collier d’une valeur de un million six-cent mille livres, collier dont elle n’a jamais fait la commande. Bien qu’innocente, Marie-Antoinette sort de ce complot salie et encore plus haïe. L’opinion publique, qui pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu et qu’elle doit être coupable d’une façon ou d’une autre, l’injurie et lance contre elle des pamphlets tous plus durs les uns que les autres. Elle est sifflée à l’Opéra, on l’appelle « Madame Déficit ». Subissant aussi le mépris de la Cour et les rumeurs d’illégitimité de ses enfants, la reine se tourne donc vers la seule personne qui lui offre son crédit : Louis XVI. Nous l’avons dit, ce dernier a du mal à faire face à la situation économique catastrophique. Perdant pied, il se repose sur son épouse, à qui il demande désormais conseil.

Marie-Antoinette apparaît réellement sur la scène politique en avril 1787. A cette date, le ministre des Finances, Calonne, est renvoyé par le roi, qui subit la pression de l’opinion et des notables récusant la réforme fiscale dont le pays a grand besoin. Il se demande alors par qui le remplacer. Il refuse de rappeler Necker, congédié en 1781, mais devant son indécision, c’est vers la reine que l’on se tourne. Elle pense alors à l’archevêque de Toulouse, Brienne. D’abord réticent car il le juge libertin, Louis XVI finit par accepter. Dépressif, il commence à lâcher prise.

Le nouveau ministre, voyant le moral du roi faiblir, associe la reine à ses décisions. Celle-ci tente de son mieux de gérer la situation, tout d’abord en prenant des mesures visant à faire des économies. Elle supprime notamment certaines charges à la Cour, qu’elle juge inutiles. Cela lui vaut de vives désapprobations de la part des intéressés. Or, le but de Marie-Antoinette n’est pas de faire des vagues. Elle pressent que la monarchie est en danger et son objectif est de sortir des blâmes dont le régime est victime. Mais Brienne échoue dans sa tentative de réforme économique. Il faut dire qu’il ne ménage pas les notables hostiles au changement de fiscalité, au point que le Parlement de Paris réclame les Etats Généraux dans le but de trancher définitivement la question. Le roi les prévoit pour 1792, ce qui soulève les critiques car on considère la date trop lointaine.

Pendant ce temps, le Trésor continue de fondre comme neige au soleil. En août 1788, il ne reste que 200 000 francs, alors que les dettes sont de plusieurs millions. Le roi, incapable de réagir tant il s’enfonce dans la dépression, se repose entièrement sur sa femme. Cette dernière, débordée devant l’urgence, rappelle Necker, qu’elle n’aime pourtant pas. Les Etats Généraux sont convoqués pour le 1er mai 1789.


Le temps des épreuves (1789-1793)

Les mois précédant les Etats Généraux sont consacrés, dans toute la France, à la rédaction des fameux cahiers de doléances et aux élections des députés.

De son côté, la famille royale profite de ce moment de relative accalmie pour veiller Louis-Joseph, le dauphin, qui agonise. Bossu, atteint de scorbut, l’enfant, âgé de huit ans, n’en a plus pour très longtemps. Sa mère, attentive, le veille inlassablement, tenant de le faire manger et de lui redonner un peu de vie. Très affaiblis moralement, les souverains ne sont donc pas prêts psychologiquement à faire face aux Etats Généraux qui approchent.

La reine montre d’ailleurs beaucoup d’inquiétude à ce sujet. Angoissée, elle sent qu’une page est sur le point de se tourner. Tout comme le roi, elle montre de la méfiance vis-à-vis de Necker, qu’elle sait tourné vers les idées constitutionnelles. En effet, en 1789, la France est dans sa grande majorité toujours très monarchiste. Mais, de plus en plus, l’idée d’une monarchie à l’anglaise, où le roi partagerait son pouvoir avec un Parlement sur la base d’une constitution, s’ancre dans les esprits. Les Etats Généraux représentent donc une opportunité à ne pas rater pour les partisans d’un tel régime.

Le grand rendez-vous débute le 5 mai 1789, en présence des députés des trois ordres (noblesse, clergé, tiers-état), du roi, acclamé, et de la reine, boudée. Dans son discours, Louis XVI réaffirme sa volonté de réforme fiscale, dans un exposé qu’il veut à la fois ferme et chaleureux. Mais il n’évoque pas encore les modalités du vote : ce dernier doit-il se faire par tête ou par ordre ? Le vote par tête lui permettrait de remporter haut la main le débat sur l’impôt puisque, numériquement majoritaire, le tiers-état ne demande que ce partage fiscal qu’il juge normal et égalitaire. Mais le roi, dans son hésitation chronique et ne voulant pas pour le moment se mettre l’Eglise et la noblesse à dos, préfère ne pas aborder le sujet. Pendant le mois et demi qui suit, les députés des trois ordres restent donc à Paris où ils attendent une nouvelle session.



Ouverture des Etats Généraux

Cette attente est d’autant plus longue que Louis XVI a bien d’autres soucis en tête. Son fils s’affaiblit de jour en jour et finit par rendre son dernier souffle le 4 juin. Le roi et la reine sont anéantis. Ils fuient Versailles et partent à Marly pour tenter de faire leur deuil. Mais les événements les rattrapent : la nouvelle session des Etats Généraux est prévue le 23 juin et trois jours auparavant, les députés du tiers-état se sont rendus dans la salle du Jeu de Paume afin de se jurer mutuellement de donner une constitution à la France.

Pour le moment, le roi décide d’ignorer cet état de fait et se focalise principalement, le 23 juin, sur la question de la fiscalité, en demandant à chaque ordre, et surtout à la noblesse et au clergé, d’accepter l’égalité devant l’impôt. Il n’aborde pas le problème, pourtant espéré par le tiers-état, de l’inégalité de l’accès aux emplois et autres privilèges. Puis il demande à chaque ordre de se disperser et de voter chacun de son côté. Le tiers-état refuse et reste. Le lendemain, ce dernier est rejoint par une partie du clergé, puis le 25 juin, c’est au tour de quarante-sept députés de la noblesse de rallier ce qui se nomme désormais l’Assemblée Nationale. Celle-ci se déclare Constituante le 7 juillet. Le roi ne peut plus rien faire, la Révolution est en marche.

C’est sans compter sur Marie-Antoinette, qui refuse la passivité. Elle pousse Louis XVI à agir, sans se douter un instant que ses actes ne vont servir qu’à accélérer le processus révolutionnaire. Tout d’abord, le roi fait venir, dans le but de se protéger, des régiments suisses, la garde royale française ayant rejoint les manifestants. Puis, le 11 juillet, il renvoie Necker. Ces deux décisions provoquent un tollé et un événement décisif dans la Révolution : le peuple de Paris prend la Bastille le 14 juillet, après qu’on l’ait incité à aller y chercher des armes pour se défendre.



Prise de la Bastille

A partir de ce moment, tout s’enchaîne : la commune de Paris est créée, ainsi que la garde chargée de sa défense, la Garde nationale, La Fayette à sa tête. La monarchie absolue n’est plus. Louis XVI se voit donc obligé de renvoyer les troupes suisses et de rappeler Necker, afin de calmer la situation. Malgré ces initiatives, les révolutionnaires jugent non pas le roi, mais Marie-Antoinette, d’avoir été l’instigatrice de la venue des sections suisses et du renvoi du ministre des finances. L’ambiance gronde, au point que de nombreux nobles doivent fuir. Parmi eux se trouvent Madame de Polignac, la plus proche amie de la reine, mais aussi l’abbé Vermond, le lecteur de Marie-Antoinette. Cette dernière se retrouve donc dans une grande solitude pour faire face aux événements politiques tragiques qui s’annoncent.

Seule ? Pas vraiment. Marie-Antoinette va trouver de la force auprès de ses enfants et surtout de Louis-Charles âgé de 4 ans. Elle peut aussi compter sur Axel de Fersen, l’homme qu’elle aime depuis plusieurs années. A Versailles, elle tente de vivre comme avant, passant tout l’été 1789 à Trianon. Le roi, lui, chasse, comme à son habitude. Pendant ce temps, pourtant, de très importants changements ont lieu : le 4 août est proclamée l’abolition des privilèges et des droits féodaux ; le 26 août, on fait la lecture de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Par ailleurs, l’Assemblée se lance dans son immense projet de constitution basée sur la séparation des pouvoirs.

Or, pour tout cela, il faut obtenir l’accord du roi, qui détient l’exécutif. Celui-ci retarde volontairement la signature de ces documents, ce qui met l’opinion publique dans une colère très grande. En effet, le roi, on ne sait par quel miracle, attend que les choses redeviennent comme avant et prône la patience. Il a du mal à admettre que les transformations politiques en cours s’avèrent irréversibles, et que son mode de gouverner est en train de disparaître. Il choisit donc… de ne pas agir, et d’attendre. Il commet par ailleurs un nouvel acte qui va conduire à un autre événement majeur de la Révolution : sous la pression, et ayant peur pour sa sécurité et celle de ses proches, il fait venir un régiment de Flandre. En guise de bienvenue, on offre aux soldats un banquet où mets et vins coulent à flots, en présence du roi et de la reine : cela crée un véritable scandale, car le peuple de Paris meurt de faim. Le lundi 5 octobre, des parisiennes prennent donc le chemin de Versailles pour aller réclamer du pain au roi. Elles ne sont pas seules. Parmi elles, des hommes, pour beaucoup déguisés en femmes, les accompagnent. Leur but ? Que la famille royale, ainsi que l’Assemblée nationale, qui siège à Versailles, s’installent à Paris, où elles pourront être sous le contrôle du peuple.

C’est donc vers onze heures du matin, alors qu’elle se trouve à Trianon, que Marie-Antoinette apprend la venue imminente des émeutiers. Elle regagne le palais et rejoint son époux. Là, on lui conseille de fuir avec ses enfants mais elle s’y refuse, ne voulant pas quitter le roi. Son courage commence sérieusement à être mis à rude épreuve, mais elle fait face.

Le cortège de Parisiens arrive enfin, ainsi que La Fayette et la Garde Nationale, venus protéger la famille royale. Quelques femmes sont autorisées à entrer dans le château et rencontrer le roi, qui promet de fournir du pain au peuple affamé. Puis, la nuit tombée, la foule campe devant les grilles du palais. Les choses sont loin d’être terminées.

En effet, au petit matin du 6 octobre, on réveille la reine en urgence : des insurgés ont réussi à pénétrer dans le château, et sa vie est en danger. Toute la famille se retrouve alors cernée dans la salle de l’œil-de-bœuf et, devant la pression de la foule, se voit dans l’obligation de se montrer au balcon. Le roi obéit le premier, il est rapidement acclamé. Puis il rentre. C’est lorsque l’on demande à la reine de paraître que les choses se compliquent. Elle sait la haine qu’éprouve le peuple pour elle. Courageuse, elle prend néanmoins ses enfants par la main et sort. Des cris percent : « Pas d’enfants ! » Elle les fait donc reculer et se retrouve seule face à des centaines d’émeutiers, à portée d’arme. Digne mais morte de frayeur, elle compte les secondes, qui lui paraissent très longues. Puis, contre toute attente, on l’acclame à son tour. Pour le moment, elle est sauve.

Afin de ne pas envenimer la situation, Louis XVI décide de répondre favorablement à la requête du peuple, et d’aller s’installer à Paris. Il espère au fond de lui, et le pense même fortement, que la situation est temporaire et qu’il retrouvera prochainement, ainsi que sa famille, son palais. L’Histoire en décidera autrement. Alors qu’elle rassemble ses affaires, Marie-Antoinette ne se doute pas qu’elle ne reverra jamais plus Versailles, et que Trianon, ce petit château si cher à son cœur, ne sera bientôt plus qu’un souvenir…

Dans le carrosse qui les mène à Paris, la famille royale, silencieuse, observe la foule que les entoure, armée de pique au bout desquelles sont plantées des têtes de gardes du palais. On met plus de six heures à arriver à destination : tout d’abord la mairie de Paris, puis le palais des Tuileries, la nouvelle demeure.



Le Palais des Tuileries. Il fut détruit par un incendie en 1871.

Ce château manque cruellement de confort. En effet, depuis de nombreuses décennies, les rois n’y séjournent plus. Il faut donc tout remeubler. Et peu à peu, la vie reprend et s’organise. On maintient les rituels officiels du lever et du coucher, ainsi que la messe quotidienne. La vie de Cour est cependant limitée à quelques dîners, on ne donne plus ni fêtes, ni bals. La famille royale, Marie-Antoinette surtout, se replie sur elle-même. Discrète et évitant toute ostentation pour éviter que la haine du peuple ne s’accentue, elle se contente de travaux d’aiguille, de discussions avec ses dames d’honneur et veille à l’éducation de ses enfants. Le roi quant à lui, privé de ses parties de chasse, sombre dans une véritable dépression. La reine sait qu’il a besoin de son soutien mais elle aussi se retrouve plongée dans la solitude : elle ne s’entend pas avec le comte de Provence et Madame Elisabeth, frère et sœur du roi. Il n’y a que Fersen vers qui elle peut se tourner.

Dans cette claustration ressentie comme une véritable captivité, la famille royale connaît pour l’instant les plus durs moments de son existence. Pourtant, contrairement aux apparences, ils ne sont en réalité pas si surveillés que cela. En effet, rappelons-le, au tout début de la Révolution, on ne veut en aucun cas supprimer la monarchie. L’institution royale est respectée et bien que la reine soit victime de critiques virulentes, le roi, lui, est encore relativement aimé. Et c’est pour cela que, malgré la contrainte de signer les articles de la Constitution à laquelle il n’adhère moralement pas, Louis XVI, et encore plus Marie-Antoinette, espère un retour à la normale. A leurs yeux, seule la monarchie absolue est valable, c’est dans l’ordre des choses voulues par Dieu, dont le roi est le représentant sur Terre. Pourtant, sous une apparence de patience, Marie-Antoinette trépigne et ne songe qu’à fuir. Elle ne supporte pas la vie aux Tuileries et veut retrouver sa liberté. Elle tente de convaincre le roi d’organiser une évasion, ce qu’il refuse obstinément.

Avec le temps néanmoins, l’Assemblée constituante compte de moins en moins de monarchistes. Cela est dû en partie au fossé qui se creuse de plus en plus entre les souverains et leur peuple. En effet, le roi met toujours beaucoup de temps à ratifier les décisions de l’Assemblée, ce qui ne fait que provoquer les doutes de cette dernière sur sa sincérité à adhérer à une monarchie constitutionnelle. Il se montre aussi très absent, s’isole. Quant à la reine, elle se comporte de façon toujours désagréable dès que des délégations politiques viennent rendre visite au roi, ce qui la rend suspecte à son tour. On dénonce son influence néfaste sur Louis XVI et on pense que c’est elle qui empêche son époux de consentir totalement à la Constitution. Par conséquent, on juge de plus en plus que la France pourrait très bien se passer de roi.

Marie-Antoinette sent le danger. Elle cherche du soutien là où, croit-elle, elle peut en trouver : en faisant appel aux puissances étrangères, et plus précisément à son frère, Léopold II (sa mère est morte en ?), par une correspondance assidue. Elle prépare aussi discrètement une évasion tout au long de l’hiver 1790-1791, avec l’aide de Fersen. Le but de cette fuite est, outre la liberté, de se réfugier à Montmédy et, de là, de tenter de reconquérir le pays avec une aide militaire fournie par les autres puissances européennes, qui, selon Marie-Antoinette, ne peuvent la refuser car elles aussi sont menacées de contagion révolutionnaire. La reine pense que le roi finira par accepter ce départ, d’autant plus qu’il est anéanti par une nouvelle mesure révolutionnaire prise par l’Assemblée : la Constitution civile du clergé, votée le 21 avril 1790. Il tente par tous les moyens de retarder sa mise en application en refusant de la signer, mais il doit céder le 26 décembre 1790. Pour cet homme pieux et attaché aux traditions catholiques, ce décret, qui renie l’institution de l’Eglise, le désespère. Au début de 1791, il tombe très malade. A la joie de sa femme, il consent à fuir.

Je ne vais pas entrer dans les détails de ce qui ne sera qu’une tentative d’évasion mais plutôt sur ses conséquences. Quelques mots cependant sur son déroulement : elle a lieu le 21 juin 1791. Le départ est à 1h50 du matin : toute la famille royale (le roi, la reine, leurs enfants, ainsi que la gouvernante de ses derniers, Madame de Tourzel, et Madame Elisabeth), habillée en bourgeois et pourvue de faux passeports, montent dans une berline cossue. Escortés par le comte de Fersen, qui les quitte néanmoins en cours de route par sécurité, ils réussissent à quitter Paris. Reconnus par Jean-Baptiste Drouet, le maître de poste de Sainte-Menehould, leur aventure prend fin un peu plus loin, à Varennes. Le carrosse est ramené à Paris le 25 juin, sous l’escorte de deux députés, Pétion et Barnave.



L'arrestation de la famille royale à Varennes

Ce que l’on a retenu comme la « fuite à Varennes » va porter un coup très dur au roi et à la reine. On tente maladroitement de minimiser l’acte, en faisant croire à un enlèvement, car l’Assemblée a besoin du roi : elle est en train de terminer la rédaction d’une constitution incluant la monarchie. Exclure le souverain provoquerait donc l’anéantissement de tout son travail. Mais personne n’est dupe : l’opinion sait très bien que c’est la famille royale qui a orchestré l’évasion. Une fois encore, Marie-Antoinette est virulemment attaquée.

Le discrédit vis-à-vis du roi et de la reine joue en faveur de la partie radicale de la Constituante. En effet, de moins en moins de députés se déclarent favorables à un partage du pouvoir avec le roi, d’autant plus que beaucoup de constitutionnels sont partis à l’étranger. La tranche gauche de l’Assemblée est soutenue en ce sens par les clubs, comme celui des Jacobins et des Cordeliers. On demande la destitution du roi et, dans ce but, les républicains en appellent au peuple : ils demandent à ce dernier de signer une pétition. Des citoyens se réunissent donc le 17 juillet au Champ de Mars. La garde nationale vient pour disperser la foule mais, prise à partie, elle ouvre le feu. On déplore plusieurs dizaines de morts, ce qui indigne l’opinion.

De son côté, la famille royale est cette fois-ci surveillée jour et nuit. Louis XVI finit par accepter la constitution, las et ayant perdu tout espoir. Quant à Marie-Antoinette, elle a été anéantie par l’échec de la fuite, mais elle reprend vite des forces. Elle se remet, très discrètement et sous couvert d’une apparence de résignation, à chercher une aide extérieure par une correspondance inlassable avec Léopold II, Mercy-Argenteau et Fersen. C’est aussi pour elle un moyen de ne pas sombrer dans l’inactivité et la déprime. Elle trouve également du soutien auprès du député Barnave, un partisan de la monarchie constitutionnelle. Il lui conseille, comme l’avait fait autrefois d’ailleurs Mirabeau, de rallier le nouveau régime avec conviction. Marie-Antoinette feint de répondre à ses attentes, car elle joue double-jeu : inenvisageable pour elle d’adhérer à une constitution. Seule la monarchie absolue est valable. En réalité, Barnave lui sert surtout à gagner un temps précieux en attendant l’aide de l’Autriche, mais ce dernier n’est pas naïf et s’en aperçoit : il prend ses distances.

Parallèlement, les jacobins font pression pour l’abandon total de la monarchie et l’établissement d’une république. L’Assemblée, devenue Législative, dénombre de plus en plus de partisans d’un tel ordre politique. Elle entreprend alors de pousser le roi dans ses retranchements en votant des lois et décrets contre lesquels elle sait que le souverain ne pourra que poser son véto. Le 9 novembre 1791, elle ordonne donc aux émigrés de revenir en France avant le 1er janvier, sous peine de mort. Le 29 novembre, une nouvelle injonction oblige les prêtres réfractaires à la constitution civile du clergé de prêter serment. Enfin, elle envisage sérieusement de déclarer la guerre avec l’étranger dans le but de répandre les idées révolutionnaires et de mettre définitivement un terme à la monarchie. De ce dernier point, Marie-Antoinette, contrairement à Louis XVI qui y répugne, s’en félicite : une guerre, qui inclurait la venue d’armées royalistes, dont celles notamment de son neveu François II (Leopold étant décédé le 1er mars), est à ses yeux le seul moyen de sortir sa famille de sa situation inextricable.

Le 20 avril 1792, le roi se rend donc à l’Assemblée et y proclame, bien à contrecœur, l’état de guerre. La reine, quant à elle, se réjouit : elle transmet même des informations tactiques aux troupes austro-prussiennes, informations dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient bien limitées et n’auraient en aucun cas changé le cours du conflit. Toujours est-il qu’en à peine une semaine, l’armée française bat en retraite. Pour les révolutionnaires, cet échec ne peut qu’être dû à une trahison, qu’ils imputent immédiatement à la reine. Pourtant, ils ne savent rien de sa correspondance. Les pamphlets se multiplient contre l’ « Autrichienne » et la Législative lance une nouvelle série de mesures implacables : le 27 mai, elle vote la déportation des prêtres réfractaires et le 8 juin, elle lève une armée de 20 000 fédérés chargés de l’ordre dans Paris. Le roi oppose une nouvelle fois son véto. C’est la dernière fois qu’il fait acte de décision politique officielle.

En effet, les événements visant à supprimer la fonction royale s’intensifient. Le 20 juin 1792, des émeutiers, en fait des parisiens du peuple endoctrinés et manipulés par les jacobins, envahissent les Tuileries et parviennent à pénétrer dans les appartements du roi et de la reine. Il ne se passe rien, mais Louis XVI et Marie-Antoinette sont atteints moralement. La reine, surtout, tombe dans une paranoïa chronique, voyant des meurtriers partout. En fait, elle est complètement à bout de force et ne supporte plus la situation.

La fin de la monarchie est précipitée par la parution, le 25 juillet 1792, du manifeste de Brunswick. Ce document est en fait un véritable ultimatum lancé par le chef de l’armée prussienne, le duc de Brunswick, contre les révolutionnaires. Il les enjoint en effet de se rendre, promettant entre autres d’épargner le peuple français s’ils font de même avec la famille royale. Le but escompté n’est cependant pas atteint : au contraire, cette menace ne fait qu’exacerber le sentiment de révolte. La patrie est déclarée en danger et il faut absolument mettre à bas l’ennemi.

Afin de se défendre contre ce grand péril imminent, on fait protéger les Tuileries et la famille royale par un régiment de neuf-cent suisses. On sait que l’assaut révolutionnaire est prévu pour le 10 août. Autant dire que l’attente de Marie-Antoinette et sa famille est difficile. Angoissés, ils ne dorment pas la nuit précédant la venue des émeutiers. Au petit matin, on conseille au roi de se réfugier, avec ses proches, à l’Assemblée. Marie-Antoinette, qui pense qu’ils sont suffisamment défendus par le régiment suisse, tente de résister une dernière fois. Mais lorsque la foule, immense, s’avance vers les grilles des Tuileries, il faut se rendre à l’évidence : Roederer, le procureur-syndic, recommande une nouvelle fois au roi de chercher protection auprès de l’Assemblée. La reine tente une ultime fois l’opposition : « Mais Monsieur, nous avons des forces ». Ce à quoi Roederer répond : « Madame, tout Paris marche […] Si vous vous opposez à cette mesure, vous répondrez, Madame, de la vie du roi et de celle de vos enfants » Le roi, qui jusque là s’est fait discret, tranche définitivement : « Marchons ». La famille royale sort donc des Tuileries, protégée par deux haies de garde. La foule, silencieuse, les laisse passer. Ce n’est qu’à l’approche de l’Assemblée qu’elle commence à se comporter violemment, à tel point que le roi, la reine et leurs proches se précipitent à l’intérieur de la salle du Manège.

Quelques heures plus tard, le palais des Tuileries a été envahi et l’Assemblée Législative dissoute, laissant place à la Convention. Le pouvoir se trouve à présent entre les mains des jacobins, menés par Danton et Robespierre. Pendant près de trois jours, la famille royale assiste, dans une petite salle attenante à celle où les débats ont lieu, à la mise en place de la République. Ils attendent leur sort dans une grande angoisse. Ce sera l’emprisonnement au Temple.



La Prise des Tuileries, par Jacques Bertaux (1793)




Le Temple

La Tour du Temple fait partie d’un bâtiment ancien, construit par les Templiers au XIIè siècle. Elle se compose de deux étages où l’espace est considérablement réduit. La famille royale se retrouve alors dans une promiscuité sans précédent, d’autant plus que Madame Elisabeth, sœur du roi, ainsi que Mesdames de Tourzel et de Lamballe sont aussi présentes. Mais, dans la nuit du 19 au 20 août, ces deux dernières sont emmenées pour être interrogées par la Commune. Mme de Lamballe est ensuite enfermée à la prison de la Force. La reine se retrouve donc seule au premier étage avec ses enfants et Elisabeth ; le roi, lui, est installé juste au-dessus. Tous sont surveillés par des gardes municipaux.

Tout comme elle l’avait fait lors de son installation aux Tuileries, la famille royale organise sa vie quotidienne autour de rituels et tâches diverses. Le matin, tout le monde se rend chez le roi pour prendre le petit déjeuner puis on descend chez la reine pour y passer le reste de la journée. Celle-ci est consacrée à l’instruction du petit Louis-Charles, qui se compose de lecture et apprentissages variés, ainsi que de promenades dans le jardin, de tricot et de couture. Il règne tout de même au sein de ce petit monde un certain optimisme, la vie ne s’arrête pas : les repas sont riches, la reine et Elisabeth profitent de la dernière mode… Tout le monde fait preuve de patience au point que certains gardes, devant notamment la simplicité et la bonté du roi, s’attachent aux prisonniers. On fait, entre autres, réparer un clavecin afin que la reine et sa fille puissent jouer de la musique. L’existence, malgré le manque cruel de liberté, s’écoule presque paisiblement…

Presque, en effet. Car le roi et la reine sont loin de s’imaginer que les événements à venir vont hâter leur fin. En effet, le 2 septembre 1792, le roi de Prusse marche sur Châlons et approche donc de Paris, comme l’avait si fortement souhaité Marie-Antoinette. La réaction à cette invasion est extrêmement violente : les révolutionnaires, pris d’une véritable folie meurtrière, assaillent diverses prisons de Paris et massacrent les détenus qui s’y trouvent. La princesse de Lamballe fait notamment partie des victimes : elle est décapitée et son corps atrocement mutilé. Les émeutiers tentent d’entrer au Temple, dans le but de faire subir le même sort à la famille royale, mais les gardes parviennent miraculeusement à les en empêcher. La foule arrive toutefois à gagner le pied de la Tour et c’est avec terreur que Marie-Antoinette découvre la tête de son amie Madame de Lamballe au bout d’une pique. Extrêmement choquée, elle ne s’en remettra pas.

Les troupes austro-prussiennes, au désespoir de la reine qui aspirait ardemment à leur venue pour être libérée, se replient le 20 septembre après leur défaite de Valmy. Le lendemain, la Convention abolit officiellement la monarchie et proclame la république. Dans ce nouveau contexte, les conditions de détention de la famille royale se durcissent : le 29 septembre, le roi est transféré dans une autre tour et n’a plus le droit de voir ses proches. La reine, déchirée à cette idée, demande qu’ils aient au moins le droit de prendre leur repas ensemble. Cette requête est accordée et, un mois plus tard, la reine, ses enfants et Madame Elisabeth sont eux aussi déplacés dans la même tour que Louis XVI. La sévérité de leur condition de détenus n’en est qu’à ses débuts : on enlève tout d’abord le petit Louis-Charles à sa mère et on le confie à son père. Puis toute la famille tombe malade. Enfin, le désespoir s’accentue lorsqu’elle apprend que la France va de victoires en victoires : elle fait la conquête de la Belgique et annexe la Savoie. Louis XVI et Marie-Antoinette commencent à comprendre que leur destin est scellé.

Le 11 décembre 1792, le roi est emmené à la Convention. Il sait de manière officieuse que c’est de son procès dont il est question. Quand il rentre le soir, il apprend qu’il va être séparé de son fils mais aussi du reste de sa famille, définitivement. Marie-Antoinette, qui sait ce que Louis-Charles représente pour son père, insiste pour qu’on le lui laisse. La demande est refusée et le dauphin est à nouveau remis à sa mère.

Malgré la douloureuse séparation, le roi et la reine parviennent néanmoins à communiquer : tout comme dans la première tour, Louis XVI se situe à l’étage supérieur de celui de sa femme. Le couple s’envoie donc des mots par l’intermédiaire de petits papiers attachés à une cordelette assez longue pour atteindre les deux niveaux. Ces écrits parlent peu du procès. Il s’agit surtout d’inquiétude mutuelle sur l’état de santé des uns et des autres. Cela démontre le changement de relation au sein du ménage royal : en effet, les épreuves et la promiscuité quotidienne ont créé entre eux une complicité sans précédent. La reine s’est aperçue des qualités de son mari et, éloignée de tous ses anciens amis, affaiblie aussi bien psychologiquement que physiquement, elle s’est tout naturellement tournée vers lui et reposée sur sa douceur et sa quiétude. Il représente pour elle la stabilité. Car en effet, depuis qu’il n’est plus reconnu comme roi, Louis XVI se sent déchargé d’un immense poids. Sa sérénité apaise Marie-Antoinette, pour qui l’idée d’être séparée de lui est insupportable.

Pourtant, c’est bel et bien la mort qui va être à l’origine de leur séparation. Accusé de trahison et d’être contre la Révolution, le roi est reconnu fautif de toutes les charges qui pèsent contre lui. On n’en doute pas, il a bel et bien joué double jeu pendant les quatre dernières années. Il a toujours signé les décrets à contrecœur et opposé son véto à plusieurs reprises, espérant en son for intérieur que l’on reviendrait à la raison et que la monarchie absolue serait bientôt remise en place. Par contre, une chose contre laquelle il se défend ardemment, c’est d’avoir versé le sang du peuple, notamment lors de l’assaut donné aux Tuileries le 10 août contre sa garde suisse. Pour lui, la présence de ce régiment visait uniquement à sa protection. Louis XVI, en effet, n’était pas un monstre. Humain et pacifiste, il a toujours voulu le bien de ses sujets. Mais il s’y est pris maladroitement.

Le 20 janvier 1793, c’est de sa chambre du Temple qu’il apprend sa condamnation à mort. Celle-ci a été votée le 18 janvier à… une seule voix de majorité. En effet, même si les députés l’ont jugé en masse coupable de haute trahison, la peine à infliger à fait sujet de débats houleux. De nombreux girondins souhaitaient son incarcération jusqu’à ce que la guerre contre les puissances étrangères prenne fin. D’autres ont voté pour un sursis. Les jacobins, quant à eux, ne veulent qu’une chose : la guillotine. La mort de la personne royale est aussi, à leurs yeux, celle de la monarchie. On veut détruire le symbole afin d’asseoir définitivement la république.

Louis XVI, qui n’a pas peur de mourir, demande néanmoins trois jours pour se préparer à son exécution. La Convention refuse : il doit être guillotiné le lendemain. On le laisse cependant faire ses adieux à sa famille. Ceux-ci sont déchirants. Vers 8h30 du soir, il est amené auprès de sa femme, sa sœur et ses enfants. Tous l’entourent de leurs bras et le serrent contre eux, les larmes aux yeux. Pendant deux heures, ils restent ensemble. Louis XVI se montre calme et rassurant. Puis, après avoir promis de revenir le lendemain matin avant son départ, il retourne dans sa chambre. Le cœur brisé, il ne tiendra pas cette promesse, jugeant que c’est, au final, mieux pour tout le monde.

Marie-Antoinette, quant à elle, ne dort pas de la nuit. Le désespoir lui fait toucher le fond. Vers 8h30 du matin, elle entend du bruit à l’étage puis dans la cour : le roi part vers son tragique destin. Vers 10h20, elle perçoit les bruits d’artillerie puis les roulements de tambour. Enfin, la foule hurle « Vive la République ! » Louis XVI n’est plus.



L'exécution de Louis XVI (gravure allemande)

La descente aux enfers, dès lors, ne fait que s’accentuer pour la reine. Ne dormant plus, rejetant toute nourriture, elle est très affaiblie et vit dans une prostration sans précédent pendant plusieurs jours. Puis, comme à son habitude, elle reprend un peu de force morale. Elle y est aidée : un garde municipal du nom de Goret la prend sous son aile. Il lui propose d’aller prendre l’air au sommet de la tour, où il fait installer des sièges pour elle et ses enfants. Puis un républicain farouche et membre de la Commune insurrectionnelle du nom de Toulan se prend aussi d’affection pour la famille royale. Il arrive notamment à faire parvenir à Marie-Antoinette les dernières volontés du roi ainsi que ce que dernier avait confié à son serviteur Cléry avant de partir à l’échafaud, qui consiste en un cachet, son anneau de mariage et des cheveux. Marie-Antoinette est sensible à ces attentions, et avoir ces quelques affaires de son époux avec elle lui redonne un peu de vigueur. Elle reprend ses correspondances et, avec elles, l’idée d’une évasion. Toulan la soutient, lui proposant de l’aider à partir pour l’Angleterre. Mais, faute de d’argent, le projet tombe à l’eau. On offre alors à la reine de s’enfuir seule, ce qu’elle refuse catégoriquement. La pensée de laisser ses enfants, dont le petit Louis-Charles qu’elle a reconnu comme étant le nouveau roi, la rend malheureuse. Un autre projet de fuite est alors élaboré par Dumouriez, lieutenant-général des armées de la république. Cet homme ambitieux, déçu de l’ambiance politique actuelle, veut mettre le petit Louis XVII sur le trône, espérant parallèlement assouvir ses appétits de pouvoir. C’est un nouvel échec. Mais les épreuves sont loin d’être terminées.

Le 13 juillet 1793, un nouveau coup d’une grande cruauté est en effet porté à Marie-Antoinette : on lui enlève son fils. Craignant l’utilisation de l’enfant, reconnu par les monarchistes comme le nouveau souverain, pour un rétablissement de la royauté, on juge qu’il est préférable de le retirer à toute influence allant dans ce sens. Pour la reine, c’en est trop : pendant plus d’une heure, elle refuse la séparation, s’agrippant désespérément à son fils, hurlant qu’on le lui laisse. Puis elle doit abdiquer : le petit Louis est emmené à l’étage situé en-dessous. Pendant deux jours, traumatisé, il pleure sans s’arrêter.



Le dauphin arraché à sa mère



Louis XVII. Il mourra en 1795 de la tuberculose dans la prison du Temple, à l'âge de 10 ans, totalement abandonné à son triste sort.


L’enfant, dont on souhaite faire un petit républicain, est confié aux soins d’un couple de cordonniers : les Simon. Illettrés, un peu vulgaires, ils se prennent néanmoins d’affection pour le petit garçon, qui reprend peu à peu goût à la vie. On lui apprend les chants révolutionnaires, comme La Carmagnole, ainsi que, le pire de tout, à détester sa mère. Marie-Antoinette, qui peut l’entendre de sa chambre proférer de terribles paroles contre elle, en est profondément atteinte. Que peut-elle espérer maintenant que son fils, totalement endoctriné, la méprise et que Louis XVI est mort ?

C’est dans la nuit du 1er au 2 août qu’elle prend définitivement conscience que c’est la fin. Quatre commissaires de la Commune viennent lui lire une décision de la Convention : le Salut Public, en charge de l’exécutif, lui ordonne de paraître devant le Tribunal Révolutionnaire, tout nouvellement créé. La reine, qui n’attend plus rien, obéit sans discuter quand on lui fait part de son transfert immédiat à la prison de la Conciergerie. Elle fait ses adieux à sa fille, Madame Royale, et sa belle-sœur Elisabeth.

La confort de sa cellule de la Conciergerie est tout ce qu’il y a de plus primaire. Manquant d’air, humide car située près de la Seine, elle est aussi très obscure. Son mobilier est lui aussi fort restreint : il se compose uniquement d’une table, de deux chaises, d’un fauteuil et d’un lit. On la met entre les mains d’une servante chargée de s’occuper d’elle : Rosalie Lamorlière. La reine est aussi incessamment surveillée par deux gendarmes installés au sein-même de sa cellule. Autant dire qu’elle n’a absolument aucune intimité… On voit là la différence de traitement avec Louis XVI, à qui on avait donné l’autorisation de rester dans la commodité de son appartement du Temple.

Mais, contre toute attente, Marie-Antoinette est bien traitée par ses geôliers. Les concierges chargés de sa surveillance, le couple Richard, lui fournissent des vêtements, des mouchoirs, des chaussures. Elle est aussi bien nourrie. Rosalie, sa chambrière, se montre attentionnée : elle lui achète notamment un petit miroir avec ses propres deniers. Les gendarmes, quant à eux, lui apportent quotidiennement un bouquet de fleurs pour égayer sa cellule. Elle n’a par contre pas le droit de sortir, son seul loisir est la lecture.

Malgré de relatives bonnes conditions de détention, Marie-Antoinette est très faible. Elle ne mange presque plus, a dramatiquement maigri, ses cheveux ont blanchi. Angoissée, usée, elle est aussi très certainement gravement malade : elle a régulièrement des hémorragies cachant manifestement un cancer de l’utérus. Bref, à trente-sept ans, c’est une vieille femme sur le point de mourir…



"La Veuve Capet", par Jean-Louis Prieur

Après un ultime plan d’évasion raté, plan dont elle n’a par ailleurs pas la force d’être elle-même l’instigatrice, on durcit encore plus son quotidien : plus de fleurs, plus d’alimentation riche, plus de visites de Madame Richard qui s’était prise d’amitié pour elle. Seule Rosalie reste à son service. Parallèlement, les semaines qui viennent de s’écouler ont connu de nouveaux bouleversements politiques et économiques : les montagnards sont désormais à la tête du pouvoir après avoir éliminé les girondins. Le 13 juillet, Charlotte Corday a assassiné Marat. La guerre de Vendée, menée par des contre-révolutionnaires, fait rage. Le prix du pain a augmenté, ce qui met le peuple en colère. Devant une telle accumulation de menaces, la Convention met alors en place, le 5 septembre 1793, ce que l’on va appeler la « Terreur ». Le 17 septembre, la loi des suspects est proclamée. Elle ordonne l’arrestation et le procès devant le Tribunal Révolutionnaire de toutes les personnes jugées ennemies de la Révolution. Et bien sûr, la reine ne peut que faire partie de ces ennemis.

Conscients que l’Autriche ne prendra pas le risque de la sauver et qu’elle est aussi très souffrante et donc qu’elle risque de bientôt mourir, les députés montagnards décident qu’il est de ce fait temps d’offrir la tête de Marie-Antoinette au peuple. Son exécution permettrait définitivement de légitimer la Terreur et d’évincer le danger d’une restauration. Le 12 octobre 1793, on vient la chercher pour la mener dans la Grand-Chambre de la Conciergerie. Il ne s’agit pas encore du procès public, mais d’un préambule plus intime : sont présents l’accusateur public Fouquier-Tinville, le président du tribunal Herman, proche de Robespierre, et quelques autres. Là, les charges fusent : correspondance avec l’étranger, influence sur Louis XVI pour contrer la Révolution, notamment par le biais des vétos, organisation de la fuite à Varennes… Ce à quoi la reine répond avec intelligence. En effet, jamais elle n’avoue, trouvant toujours une réponse logique : en ce qui concerne la correspondance avec, surtout, l’Autriche, elle nie purement et simplement, sachant que ses accusateurs n’ont aucune preuve. Quant à son influence sur Louis XVI et la fuite à Varennes, elle déclare naturellement que c’était lui le roi, qu’elle n’était que son épouse, qu’il était maître de ses décisions et qu’elle n’a fait que lui obéir. Cette force mentale émanant de Marie-Antoinette désarçonne quelque peu ses bourreaux. Il n’arrive pas à lui faire avouer quoi que ce soit. Elle retourne alors dans sa cellule.

Le procès en lui-même débute le 14 octobre à 8 heures du matin. Deux avocats ont été commis d’office pour assurer la défense de la reine. Ils n’ont eu qu’une nuit pour se préparer… La séance est publique, ce qui inclut la présence dominante de gens du peuple qui détestent l’accusée. Tout a été calculé pour faire du procès un véritable spectacle populaire.

C’est en effet une parodie. Après la lecture des actes d’accusations que sont la dilapidation de l’argent du peuple, la coalition avec l’Autriche et les émigrés dans le but de rétablir la monarchie et l’organisation de la fuite de la famille royale, des dizaines de soi-disant témoins défilent les uns après les autres pour déclarer, parfois en se contredisant, ce qu’ils ont vu et entendu, ou plus précisément ce qu’ils ont cru voir ou entendre… Aucune preuve n’est avancée, tout repose sur des rumeurs. Marie-Antoinette le sait et continue de nier avec cohérence et discernement. Devant cette habile auto-défense, les détracteurs de la reine ont peur de perdre la partie : ils font alors appel au député Hébert. A la barre, celui-ci accuse purement et simplement Marie-Antoinette d’inceste à l’encontre du petit Louis-Charles. Folle de rage, la reine se contient néanmoins. C’est plus tard, lorsqu’un des jurés revient sur le fait qu’elle n’ait justement rien répondu à ce propos, qu’elle se lève, indignée et désespérée à la fois : « Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à pareille inculpation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici » Cette protestation fait son effet : pendant quelques minutes, les femmes du peuple présentes dans la salle s’irritent à leur tour pour se mettre du côté de la reine. Craignant un véritable basculement du procès, Herman change précipitamment de sujet et la session reprend son cours.



Procès de Marie-Antoinette, dessin de Pierre Bouillon


En fin d’après-midi du 15 octobre, les témoignages sont terminés. Marie-Antoinette, dans un dernier moment de parole, s’exprime : elle n’a fait que toujours obéir au roi et elle n’était que son épouse, sans aucun poids politique. Ses avocats plaident, sans conviction. Il n’existe pourtant aucune preuve d’une quelconque culpabilité et logiquement, c’est l’acquittement qui devrait être décidé. Les jurés se retirent et délibèrent pendant une heure. A leur retour, vers 4h30 du matin, ils déclarent Marie-Antoinette coupable des faits qui lui sont reprochés. Elle est condamnée à mort pour le jour-même, 16 octobre 1793. Pourtant, lors de la lecture de sa sentence, elle reste stoïque et garde le silence. Puis on la ramène à sa cellule.

Elle écrit une dernière lettre, destinée à sa belle-sœur Elisabeth, qui ne la recevra par ailleurs jamais. En effet, on la retrouvera plus tard dans les affaires de Robespierre, après l’exécution de ce dernier. Puis, celle qui fut reine s’allonge sur son lit. Elle pleure. Vers 7 heures du matin, sous l’insistance de Rosalie, elle boit un peu de bouillon. Puis elle se change, impassible. Vers 10 heures, les juges et le greffier entrent dans sa cellule pour lui lire sa sentence. Impressionnés par sa dignité, ils ôtent leurs chapeaux. C’est ensuite au bourreau Sanson de faire son apparition. Il attache les mains de la condamnée dans le dos et lui coupe les cheveux. Marie-Antoinette lutte contre les larmes. Enfin, on l’emmène. Contrairement au traitement de faveur accordé à Louis XVI, qui s’était rendu sur le lieu d’exécution dans un carrosse, on la fait monter dans une charrette. On lui propose les services d’un prêtre converti, elle refuse son assistance.

Vers 11h, le supplice du trajet commence. Mais quand Marie-Antoinette sort, la foule reste bizarrement silencieuse. On veut néanmoins en faire un spectacle : on a engagé un ancien comédien, portant le nom de Grammont, qui suit le cortège à cheval en vociférant des injures à l’encontre de la condamnée. Cette dernière reste inébranlable et ne répond rien.



Marie-Antoinette menée à l'échafaud, croquis de Jacques-Louis David

Arrivée sur la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), elle descend de la charrette et se précipite littéralement vers la guillotine. Marie-Antoinette est à bout et n’a qu’une hâte : en terminer. Elle monte les escaliers menant à l’échafaud si vite qu’elle marche sur le pied du bourreau. Là, elle s’excuse humblement : « Je vous demande pardon, monsieur ». Ce sont ses dernières paroles. Contrairement à Louis XVI, elle ne s’adresse pas au peuple. Ce dernier, à ses yeux, ne le mérite pas. Elle est ensuite attachée et couchée. La lame tombe. La foule s’écrie « Vive la République ! Vive la liberté ! » Marie-Antoinette est arrivée au bout de son calvaire.


Comment conclure ? Comment cerner une telle personnalité et faire une hypothèse, d’après ce que nous venons de retracer, de ce que la dernière reine de France fut réellement ? Difficile, mais tentons.

Tout d’abord, nous l’avons vu, Marie-Antoinette n’était ni dévergondée ni légère. Son éducation stricte l’a rendue pudique. On sait qu’elle fut très amoureuse d’Axel de Fersen, amour qui fut d’ailleurs réciproque, mais rien ne prouve qu’ils eurent une liaison. Elle n’était pas non plus bête. Certes, elle n’était pas non plus d’une intelligence hors du commun. Son esprit, que l’on a dit souvent écervelé et superficiel, peut s’expliquer tout d’abord par son manque de culture intellectuelle, son éducation ayant été négligée, et sa jeunesse lors de son arrivée à Versailles. Rappelons qu’elle n’avait que quatorze ans, qu’elle se sentait seule et qu’elle avait l’étiquette en horreur. Son refuge fut celui des fêtes, de la mode et parfois de la désobéissance. Par ailleurs, sa nature spontanée la menait trop souvent à la maladresse. Ce n’est qu’à l’arrivée de son premier enfant qu’elle commence à mûrir, et cette maturité ne cessera de s’améliorer avec le temps et, surtout, les événements tragiques de sa vie.

Car, s’il y a bien une chose que l’on ne peut enlever à Marie-Antoinette, c’est son courage dans les épreuves. Perte de ses enfants, perte de son mari, pressions politiques, quolibets, accusations, emprisonnement, condamnation à mort… Malgré les souffrances endurées, jamais elle n’a cédé et elle est toujours restée fidèle à ses convictions et à elle-même. Oui, elle a voulu résister à la Révolution ; oui, elle ne voulait aucun autre régime que celui de la monarchie absolue. Mais peut-on lui en vouloir d’avoir souhaité défendre ses valeurs, son mode de vie et les gens qu’elle aimait?

Fidèle en amitié, elle a aussi été une mère accomplie et une femme résolument moderne. Le prouve ce besoin acharné d’intimité qu’elle a réussi, malgré les critiques persistantes, à mettre en pratique dans son cocon de Trianon, ce refuge où elle s’éloigne de cette Cour hostile qu’elle déteste. Dans cet espace qu’elle a créé à son image, elle se sent elle-même, s’occupe de ses enfants, passe du temps avec ses amis. Cette aspiration à l’indépendance lui a coûté cher : il n’était pas ce que l’on attendait d’une reine. Pourtant, comme le souligne si bien Simone Bertière : « […] au bout du compte, ce qu’on lui reproche, c’est ce dont rêvent ses contemporains. Elle est pleinement en phase avec son temps. Son désir de liberté, son appétit de vivre, sa volonté d’être elle-même sont typiques d’une génération qui récuse les valeurs d’autrefois. […] Elle est infiniment plus proche de nous que de ses aînées immédiates »


Sources :

Simone BERTIERE - Marie-Antoinette l'insoumise, Le Livre de Poche, 2002.

Evelyne LEVER- Marie-Antoinette, Fayard, 1991.


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